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Lettre de Liaison n° 139
5 mai 2025
Brèves Avant de Partir
2 mai : « Purée ! je ne sais plus lire ! » s’exclame un ami kiné du Grand-Est, après réception de nos deux dernières Lettres. Il précise : « Je me rends compte, face à des pages, je ne comprends pas ce que je lis, d’entrée. Il faut que je reprenne, et là, ça revient… ça imprègne bien… Il faut que je me remette à lire !! »
Je lui demande sur quoi il lit : sur petit écran, 6 cm sur une douzaine, comme tout-le-monde.
Format d’un livre de poche : 11 cm / 18 cm. Feuille standard : 21 cm / 29 cm. Le Point : 20 cm / 26 cm. Format d’écran de cet ordinateur : 30 cm / 50 cm. Le Monde Diplo : 32 cm / 46.
Dernière Lettre de Liaison : 3.400 mots sur 6 pages 21/29. Vingt mille signes, espaces compris. 16.800 caractères.
Différence entre signe et caractère ? Un caractère, c’est une lettre ou un signe de ponctuation. Le signe, c’est l’unité de base de tout texte, y compris les caractères et les espaces entre les mots.
Dans Skype, le nombre maximum de caractères pour sms est de 70. Les SMS, on le sait, sont globalement limités à 160 caractères.
Cerveau formaté à 160 caractères maxi, comme seul mode d’échanges, tu en reçois d’un coup seize mille : cent fois plus. Au secours !
4 mai : Levé à 6h. Une heure d’infos de la nuit – The Times of Israel, The Jordan Times, Al Arabiya (Saudi), Egypt Today, Iraqi News, L’Orient Today (Liban), UN News, Ynet News (Israël), bref coup d’œil à la BBC…
On apprend que nous avons un nouveau pape. Les habits neufs de l’empereur. Ceci n’est pas une caricature. C’est de lui-même qu’il a fait créer cette image, à l’aide d’Intelligence Artificielle, pour la poster sur le site de la Maison Blanche, et son site personnel. Il y avait déjà eu la vidéo sur Gaza « la Riviera »…
Les deux photos d’en-tête. Elles ont été prises dans la mosquée historique de Naplouse, An-Nasser. Dévastée voici deux mois, dans la nuit du 6 au 7 mars, le huitième jour du Ramadan, par un incendie criminel : une patrouille de soldats l’a allumé, en jetant tous les livres de prière, tous les corans, sur les tapis et en y mettant le feu.
An-Nasser, c’est un peu le Sacré Cœur palestinien. Nous contons son histoire sur notre site :
https://messageriesdelapaix.org/index.php/2025/04/14/conversation-with-the-heart-of-nablus/
Naplouse, une des plus vieilles villes du monde, la couronne de Cisjordanie. An-Nasser, sa perle. Edifiée comme mosquée en 638, dans le cadre de l’islamisation de la ville par les conquérants religieux venus d’Arabie après la mort de Mahomet, reconstruite en tant qu’église byzantine, avec un dôme rouge, par les Templiers durant leur occupation de la Palestine, au début du douzième siècle. Redevenue mosquée à la fin du douzième siècle, après la victoire de Saladin sur les Croisés au lac de Tibériade… Le nom de Naplouse vient des Romains, qui l’ont fondée en 72, et baptisée Flavia Neapolis, Ville Nouvelle flavienne, dédiée à l’empereur Vespasien.
Pourquoi y avoir mis le feu juste avant l’aube du second vendredi de ramadan ?
Des dizaines de milliers de pèlerins, de croyants, étaient attendus sur l’Esplanade des Mosquées, à Jérusalem. Compte-tenu de l’outrage, la colère face à la profanation, ç’aurait pu être l’émeute. Remarquablement, l’énorme foule est restée calme. Le bain de sang n’a pas eu lieu.
An-Nasser se remet lentement de ses plaies. Tous les tapis ont été retirés, ce qui en restait. De nombreux volontaires sont venus, démonter les vitraux noirs de fumée, pour les laver, les reposer. Pour nettoyer la suie sur les murs, les étagères. Cet enfant de dix ans, au regard vieilli prématurément, est venu avec son petit revolver de plastique à la main. Dans l’autre main, un balai.
Sur le site, nous avons posté un raisonnement simple, et chiffré (voir le lien).
Quel est le pays au monde qui compte le plus d’armes par habitant ? Les Etats-Unis.
Quel est le pays au monde où les armes tuent le plus (autour de cinquante mille morts par an, plus de la moitié par suicide, une vingtaine de mille par homicide) ? Les Etats-Unis.
Quel est le pays au monde qui compte le plus de prisonniers derrière des barreaux ? Les Etats-Unis. Les armes sont un modèle de société américain – comme l’obésité (90 millions d’obèses)… 83 millions de personnes y possèdent au moins une arme (un adulte sur trois).
Quel est le pays au monde qui exporte le plus d’armes ? Les Etats-Unis. Avec 43% des exportations mondiales de 2020 à 2024, quatre fois plus que la France, qui se classe seconde, depuis 2022, grâce à « l’Ukraine ».
L’enfant de Naplouse aura-t-il accès à ces informations ?
Guerres à répétition, criminalité organisée : cherchez à qui profitent les crimes, la violence armée.
5 mai. Midi à sa fenêtre…
Levé à 5h. Un mail reçu me fait écho du temps qu’il fait. « Super ! Un printemps bien agréable !!! ».
Je lui réponds, « un missile est tombé hier dans la zone de l’aéroport où je dois atterrir après-demain : vols suspendus… A Gaza aucune nourriture n’est entrée depuis deux mois, c’est la famine ».
J’aurais pu ajouter aussi que les pires incendies de l’histoire d’Israël, il y a trois jours, ont coupé la route de l’aéroport à Jérusalem et dévasté toute la région autour de Neve Shalom-Wahat al Salam (le village emblématique, unique, de la coexistence israélo-palestinienne), et le monastère cistercien de Latroun en son sein, mais « trop d’infos tue l’info » disait l’autre…
Chacun voit midi à sa fenêtre… Encore ne faudrait-il pas que les dites fenêtres se réduisent, à son insu, en fenestrons… condamnés par de lourds rideaux d’indifférence et de jem’enfoutisme.
C’était fin avril : le hasard des lectures ouvertes, interconnectées, me remettait dans les pas, les pages de Victor Hugo. Ses Contemplations. Ainsi préfacées :
« Une destinée est écrite là jour à jour.
Est-ce donc la vie d’un homme ? Oui, et la vie des autres hommes aussi. Nul de nous n’a l’honneur d’avoir une vie qui soit à lui. Ma vie est la vôtre, votre vie est la mienne, vous vivez ce que je vis ; la destinée est une. Prenez donc ce miroir, et regardez-vous-y. On se plaint quelquefois des écrivains qui disent moi. Parlez-nous de nous, leur crie-t-on. Hélas ! Quand je vous parle de moi, je vous parle de vous. Comment ne le sentez-vous pas ? Ah ! insensé, qui crois que je ne suis pas toi ! »
Nos vies, et la vie des autres… Ma vie est la vôtre, la leur ; vous vivez, ils vivent dans le même monde ; nos destinées sont une. Prenez donc ce miroir, et regardez-vous y, vous m’y verrez, vous verrez, à peine plus flou, le visage de Massoud, affamé avec ses enfants, à Gaza ; le visage de Malik, 19 ans, qui m’écrit n’avoir jamais connu un seul moment de douceur dans son camp de Balata en Cisjordanie occupée ; le visage de Natan, octogénaire, doyen survivant de Nir Oz – où un habitant sur quatre fut kidnappé ou massacré le 7 octobre 2023.
Quand je vous parle d’eux, je vous parle de vous. Comment ne le sentez-vous pas ?
Premier weekend de mai. Vous aimez penser que ce qui se passe à Gaza, Nir Oz, Balata, cela ne vous regarde en rien, que c’est sans rapports avec ce que vous vivez… Mais ce gendre sexagénaire, qui s’emporte à répétition contre ses beaux-parents, ici, en France, et qui écourte brutalement avec sa femme le weekend qu’ils devaient leur consacrer – alors qu’ils sont, octogénaires avancés, l’un avec des béquilles, l’autre dans un fauteuil roulant ; tous ces couples qui se déchirent pour des vétilles…; toutes ces oppressions quotidiennes, banalisées, vous ne voyez donc pas que c’est la même barbarie qui est à l’œuvre, sourdement, et qui fait son nid, précisément, dans l’aveuglement systématique, la déshumanisation générale, la non-écoute de l’Autre, la non-concertation, le jugement permanent et son corollaire d’exclusion ?
Vous ne voyez donc pas que le mal est de même nature, en région parisienne, en Ille-et-Vilaine, en Lorraine, dans les colonies israéliennes de Cisjordanie, dans les banlieues syriennes – que c’est juste une question de degrés ?
Retour au 30 avril. La joie de donner.
Qu’est-ce qui nous rend le plus heureux, là où nous vivons ? N’est-ce pas, souvent, la qualité de certains rapports avec les autres, dans notre environnement ? Comme sur une échelle sismographique : certains rapports nous affaiblissent, nous fragilisent, nous détruisent, sur une échelle négative de 1 à 12 (pour les tremblements de terre). A l’inverse, il est des rapports qui nous enrichissent, nous comblent, nous exaltent même. On en sort réconfortés, réjouis, ravis de faire partie du même monde. Il existe un Rapport sur le Bonheur dans le Monde, réactualisé chaque année par des services de l’ONU : World Happiness Report. Une sorte de mesure du bonheur, fondée sur six critères à vocation universelle.
Dans le désordre : la liberté ; les moyens dont on dispose ; l’espérance de vie en bonne santé ; le soutien social dans l’environnement général ; la générosité ; la confiance (politique) dans les autorités, le gouvernement.
Sans surprise, les pays du Grand Nord viennent en tête : Finlande, Danemark, Islande, Suède, Hollande, Norvège… Australie, Nouvelle-Zélande sont 11ème et 12ème. Irlande, Belgique bivouaquent en 14ème et 15ème positions. L’Allemagne, le Royaume-Uni, les Etats-Unis se situent entre les 22ème et 24ème places. La France au 33ème rang, l’Italie au 40ème, le Portugal au 60ème. En fin de liste, encore sans surprise : le Bangla Desh, le Yémen, l’Afghanistan.
Le dernier film de Wim Wenders (2023), sur l’humble vie quotidienne d’un habitant de Tokyo, Perfect Days, parle de ça, de ces simples bonheurs arrachés au laminoir. Wim Wenders, Les Ailes du Désir, Buena Vista Social Club, Le Sel de la Terre…
Alors partir, oui, partir ailleurs, vers des pays mieux lotis, si on en a le goût, la force, les possibilités.
Sinon, faire son bonheur sur place. A la Hirayama ++ (Perfect Days). Offrir des fleurs à une personne aimée… Débarquer chez un ami avec croissants et viennoiseries… dans une famille précieuse avec une belle tarte aux fruits, fine de pâte croustillante, pauvre en crème, riche en fruits… Laisser un livre utile de Thich Nhat Hanh dans une boîte aux lettres… etc. Le plus vif moment de joie du mois dernier : avoir été capable d’envoyer cinq cents euros à une famille bien connue de Gaza, qui subissent le siège abominable de l’enclave depuis deux mois, à bout… Pouvoir retirer aussi la moitié de cette somme, « de sa poche », à convertir en un millier de shekels pour cette autre famille en Cisjordanie, qui a vu la soldatesque faire intrusion chez eux, tout y dévaster, et mitrailler leur fils sans défense, dans sa chambre… Solidaires des abandonnés jamais assez. Le don, antidote à l’abandon.
On a l’impression de prêcher, quand on entre sur ce terrain-là ? Trouvez mieux.
Sur le site World Happiness Report, ils partagent une étude sociologique sur les moyens de contribuer à la hausse des indicateurs de bien-être. De sept façons :
- Prendre soin des autres. Analyse globale du bonheur et de la bonté (kindness).
- Partager des repas avec les autres, renforcer les rapports de convivialité.
- Vivre avec autrui. Comment la taille d’une maisonnée et les liens familiaux importent.
- Entretenir des rapports réguliers avec autrui, de bonne entente, de solidarité.
- Soutenir les autres. Une attitude « prosociale » réduit les morts de désespoir.
- Faire confiance aux autres : le malheur et la méfiance sociale mènent aux populismes.
- Donner aux autres : Convertir votre argent en plus de bonheur pour autrui.
Nuit du 5 au 6 mai. Demain matin, lever un peu avant 4 h, pour prendre la route, puis l’avion. Si un nouveau missile du Yémen n’a pas impacté le périmètre de l’aéroport israélien, et si les compagnies aériennes n’ont pas annulé ou reporté leurs vols, comme hier… 6 mai au matin. Comme ils compliquent tout… Vol Transavia de demain annulé. « Malheureusement aucune alternative n’est disponible à la date sélectionnée » – ni à une date ultérieure, après vérification…
C’est la troisième fois en six mois qu’un de nos billets est annulé par la compagnie aérienne (irlandaise, puis française, maintenant hollandaise) « en raison de la situation ». Cela peut relever d’un boycott d’Israël comme destination, comme d’une réaction de plus en plus craintive des voyageurs face à un pays en guerre : à deux heures du matin cette nuit, au moment de s’enregistrer en ligne, et de choisir un siège, les deux tiers des places étaient vides, et les sièges hublots, offerts à zéro euro. L’enregistrement alors s’est interrompu. Six heures après, le vol était annulé. (A Suivre)