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Lettre de Liaison 141
21 octobre 2025
Brèves d’Après Guerre
29 septembre 2025 : L’empereur-arbitre américain convoque à Washington le gouverneur élu de Jérusalem, et lui dicte sa volonté, sans équivoque – la guerre est finie, martèle-t-il. « Vous ne pouvez pas être en guerre contre le monde entier ! ».
Un éditorialiste connu d’un des principaux media israéliens en tire la leçon : « Voici comment les Américains ont transformé Israël en république bananière ».
https://www.ynetnews.com/opinions-analysis/article/hkx3thzrxg
Ce n’est plus un secret pour personne : Israël est placé sous tutelle.
10 octobre 2025 : Le cessez-le-feu est déclaré à Gaza. Après la mort de vingt mille enfants, vingt mille combattants palestiniens, 918 soldats israéliens en deux ans. Quarante-cinq mille autres enfants ont été mutilés, estropiés, amputés, d’octobre 2023 au 10 octobre 2025.
13 octobre 2025 : Sommet de la Paix, à grand spectacle, dans le sud du Sinaï. Douze premiers ministres, huit présidents, deux rois, y sont convoqués, en tant que figurants. Le trio américano-turco-égyptien conduit le bal, avec l’émir du Qatar.
A remarquer : aucune voix crédible à ce sommet, aucun Prix Nobel de la Paix. Etrangement, l’égyptien El-Baradei (Paix, 2005), l’irakien Al-Shahristani, président de Pugwash (1995), l’iranienne Shirin Ebadi (2003), la yéménite Tawakkol Karman (2011), la pakistanaise Malala (2014), une délégation tunisienne du Quartet pour le Dialogue (2015), l’américaine Jody Williams (1997), l’irakienne yezidi Nadia Murad (2018), Amnesty International (1977), Médecins Sans Frontières (1999), voire les doyens Mairead Maguire (1976), Adolfo Perez Esquivel (1980), Oscar Arias Sanchez (1987), le Dalaï Lama (1989), aucun de ceux-là ne fut convié au grand banquet pour la paix…
N’avaient-ils donc rien à dire à ce sujet ? Pas voix aux chapître.
De même que notre campagne pour mettre fin à la guerre à Gaza n’a pas encore eu accès aux mass media. Malgré l’engagement sans précédent de 44 lauréats de 19 pays. Qui peut dire le temps que prend une telle campagne pour atteindre son zénith ? Non qu’il soit « nécessaire d’espérer pour entreprendre » – notre précédente campagne Ouvrez les Portes, lancée en 2008, ne fut médiatisée et soutenue par Jean-Luc Godard, après Yasmina Khadra, Noam Chomsky, Michel Rocard, Amos Oz et David Grossman, les Nobel Jimmy Carter, Desmond Tutu, Roald Hoffmann, Jean-Marie Lehn, François Jacob, Toni Morrison, le Dalaï Lama, et soixante-dix autres, sans oublier 575 membres du Parlement Européen, qu’au printemps 2014…
Pour précision : cette campagne de 2025 n’a que huit mois, axée sur sept demandes :
- arrêter toutes les opérations militaires à Gaza ;
- permettre à tous les otages, les réfugiés « déplacés », de rentrer chez eux ;
- rompre le cycle sans fin du talion ;
- pousser l’engagement européen à se concrétiser (EUBAM à Rafah, et au-delà) ;
- remédier immédiatement à la condition insoutenable des civils ;
- permettre la reconstruction durable de Gaza…
- … au sein d’un Etat palestinien pacifique, démilitarisé.
Sur ces sept points, trois ont été appliqués à partir du 10 octobre. Un quatrième (l’engagement de l’Union Européenne) devait reprendre effet le 15 octobre : la réouverture du Passage de Rafah vers l’Egypte, dans les deux sens, sous contrôle des agents allemands, italiens, espagnols, français de la Mission d’Assistance Frontalière de l’Union Européenne (EUBAM Rafah, créée en 2005 ! fermée en 2007, rouverte en janvier 2025, au premier cessez-le-feu, puis refermée à la mi-mars, lorsque Israël a rompu ce cessez-le-feu de deux mois).
Les trois points restant : rompre le cycle sans fin du talion, permettre la reconstruction durable de Gaza, au sein d’un Etat palestinien pacifique, démilitarisé, sont inscrits au programme du Plan Global pour mettre fin à la guerre à Gaza, en 20 points, publié le 29 septembre 2025.
Soyons clairs : ce Plan « américain » (en fait mis en œuvre collectivement, avec les Jordaniens, les Egyptiens, et d’autres acteurs de premier plan du Moyen-Orient) est excellent en tous points – quoi qu’il pèche par manque de détails (pouvait-il en être autrement ?).
A dater du 12 octobre, les 44 Nobel signataires de notre Appel de Jérusalem et Naplouse, pour mettre fin à la guerre à Gaza, ont maintenu leur engagement, incluant le soutien au Plan Global en 20 points. C’est d’autant plus remarquable que 82 lauréats américains avaient pris position pour la candidate démocrate aux élections d’octobre 2024, et 77 d’entre eux, en décembre 24, ont cosigné une lettre virulente aux sénateurs, attaquant la décision présidentielle de nommer à la Santé Robert Kennedy Jr (fils du ministre Robert Kennedy, assassiné en 1968, neveu de JFK).
Ce n’est un secret pour personne que ce président est sans doute le plus controversé, chez lui comme en Europe. Le Plan Global de paix qui lui est attribué (partiellement à tort) n’en est pas moins ce dont Palestiniens et Israéliens ont besoin, et toute la région, pour en finir avec le bain de sang que l’on traverse depuis deux ans. Il est permis de penser que tous, en fait, ont grand intérêt à ce que les armes se taisent : Gaza est dévastée à 90%, champ de ruines apocalyptique ; les réservistes israéliens sont à bout de souffle ; tous les voisins (Egypte, Jordanie, Arabie saoudite, Syrie, Iraq…) sont ligués pour la survie des habitants de Gaza. Dans cette histoire horrifiante, il n’y a que des perdants, à des degrés divers. Cette guerre ne pouvait pas durer davantage, économiquement, humainement.
Plus inquiétant, vu d’ici : cette guerre à outrance, d’annihilation, a clivé, polarisé les opinions comme jamais. Tout ce qui se dit « de droite radicale » (nationaliste) s’est identifié à l’extrême-droite israélienne, par réflexe anti-islamique viscéral. Pour eux, il n’y a pas de bons Zarabes. Ils souhaitent, obscurément ou pas, l’extermination du plus grand nombre – il s’agit de les « mater ». A l’autre pôle, toute une génération (nés à la fin du vingtième siècle, au début de celui-ci) voit, révoltée, ce qui saute aux yeux : une armée surpuissante, équipée de près de 2.000 chars de soixante tonnes, de douzaines de bulldozers Caterpillar, avec plus de trois cents avions de combat américains, des drones de surveillance ou tueurs par dizaines, plus de cent soixante hélicoptères de combat américains, et toute une flotte de corvettes, de vedettes, de patrouilleurs, de sous-marins allemands, a ravagé sans nécessité l’étroit territoire d’un peuple pratiquement sans défense, quinze fois plus pauvre (source CIA world factbook) – d’où cette rage sur les campus d’Europe et des Etats-Unis, qui peut parfois virer à un antisémitisme aveuglément violent.
La simplification caricaturale des problèmes nous conduit droit à une déshumanisation rampante, qui ronge en profondeur tous les rapports humains préexistants. Les amalgames prolifèrent. Avec leurs sources de bêtise, d’ignorance, et de haine.
On est jugé, à bout portant, pour ce que l’on paraît être : « arabe », « juif », « sioniste », ou autre…
Les discours de guerre occupent tout l’espace possible, comme un gaz toxique dans l’atmosphère.
On lira avec intérêt, si on lit l’anglais, les enquêtes d’un journaliste israélien, Hagaï Amit, parues en juillet 2025 et le 18 octobre : « Ce que signifie le cessez-le-feu pour les Israéliens qui ont gagné leur vie avec la guerre à Gaza ». « ‘Je l’ai fait pour l’argent, puis par vengeance’ : les Israéliens qui tirent profit de raser les bâtiments à Gaza ». Encore n’aborde-t-il pas la question du profit lié aux ventes d’armes.
https://messageriesdelapaix.org/index.php/2025/09/30/media-october-2025/
Saint-on que Israël, minuscule nation, est passée de la 9ème position au plan mondial, en ventes d’armes, à la 8ème, grâce à la guerre à Gaza ? Comme le petit Hexagone français est parvenu au 2ème rang mondial depuis 2022, grâce à « l’Ukraine ».
Donald Trump peut bien tempêter, et jurer tout ce qu’il sait, contre le gouverneur de Kiev, lui jeter ses cartes d’état-major à la figure (leur dernière rencontre d’octobre à Washington), parviendra-t-il à l’emporter sur ceux qui ont intérêt aux guerres, qui en vivent : le complexe militaro-industriel (ainsi nommé par le Président Eisenhower, dans son discours d’adieu de 1961) ? Eisenhower, pourtant commandant en chef des forces américaines contre le Reich, de 1942 à 1945, puis commandant suprême des forces alliées en Europe de 1951 à 1952. Les hommes de guerre du plus haut rang ne sont jamais si convaincants que lorsqu’ils parlent en pleine conscience…
Et nous, là-dedans ?
Dans le sillage de Stéphane et Christiane Hessel (disparus en 2013, et en décembre 2024), et surtout dans notre logique propre, au nom du simple bon sens (dont on sait, depuis Descartes, qu’il est « la chose du monde la mieux partagée » !), nous poursuivons notre campagne pour renvoyer les machines de guerre dans leurs hangars. Ne pas accorder foi aux propagandes multiples qui voudraient nous enrôler, nous prendre dans leurs filets, à tout bout de champ. Persister à penser par soi-même, « apprendre à distinguer le vrai d’avec le faux, pour voir clair en mes actions… » -« … et marcher avec assurance en cette vie. » dit-il (Discours de la méthode, Première Partie, p.6).

Récupérer nos vies. Nos libertés quotidiennes. Attaquées si lourdement depuis octobre 2023.
Seulement voilà. Ce n’est pas abstrait, tout ça.
Il y a des gens, là-bas / si proches, qui vivent dans les ruines. Ecoutez, le dernier message, reçu de Deir al-Balah, à Gaza, le 17 octobre :
« Nous sommes toujours déplacés, à vivre les ramifications de l’après-guerre. L’ennemi mauvais a bel et bien frappé notre tour à Gaza, encore, et détruit la plupart des étages, surtout ceux d’en haut. Mon appartement est gravement endommagé, mais j’espère pouvoir y retourner et rester avec ma famille dans une ou deux pièces. Les routes sont toujours bloquées à cause de la quantité de décombres. Il n’y a pas d’eau non plus. »
Je vous ai déjà parlé de cette famille Bilal. Lui, Massoud, a soixante ans. Professeur d’université, qui enseignait la littérature anglaise du dix-neuvième siècle, il n’a perçu aucun salaire depuis l’été 2023. Vivent avec lui son épouse, leurs trois fils entre 22 et 31 ans, leur fille de 26 ans, licenciée d’anglais et en sciences de l’éducation.
Inutile de vous dire qu’ils n’ont rien à voir avec une idéologie islamiste ou djihadiste. Sont-ils une exception ? Pour avoir travaillé six ans à Gaza, je peux répondre clairement : Non. Les gens de Gaza sont comme ceux d’autres villes d’Orient. Les Parisiens qui applaudissaient le maréchal Pétain Place de l’Hôtel de Ville le 26 avril 1944 étaient-ils pétainistes ? Ceux qui acclamaient le général de Gaulle sur la même place, quatre mois plus tard, le 25 août 1944, étaient-ils gaullistes ?
Ainsi des gens de Gaza. Lisez ce qu’en disait Stéphane Hessel, qui s’est rendu six fois à Gaza, de 2002 à 2009 :

« Plus encore que les destructions matérielles [opération « Plomb Durci » de 2008], c’est le comportement des Gazaouis, leur patriotisme, leur amour de la mer et des plages, leur constante préoccupation du bien-être de leurs enfants, innombrables et rieurs, qui hantent notre mémoire. »
Le but de « Plomb Durci » (comme des opérations antérieures et ultérieures) ? Mettre fin aux tirs de roquettes incessants depuis Gaza vers Israël. 2025 : « une bonne fois pour toutes ». Se reporter à la « chronologie du terrorisme palestinien » à partir des Accords d’Oslo en septembre 1993 : première voiture piégée le 4 octobre, 29 blessés ; deuxième voiture piégée, avril 1994, 8 morts ; une semaine plus tard, bombe dans un bus, 5 morts ; revendiqués par le Hamas. Etc, etc.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Chronologie_du_terrorisme_palestinien
Alors, nous, là-dedans ? Nous n’avons pas de bons points à distribuer, ni de mauvais. Pas de leçons à donner à qui que ce soit. Depuis le début 2024, nous avons lancé des campagnes successives pour appeler à l’arrêt des tueries. En 2024, seuls quatre Prix Nobel y participaient. L’été 2025, ils sont 44.
Concrètement, pour les esprits concrets : nous avons décidé de soutenir la famille Bilal, tant qu’ils sont sans ressources. En 2024, nous l’avons fait à hauteur de 1.340 € de nos petites Messageries, puis de 2.160 € de dons privés. En 2025, à hauteur de trois mille euros à ce jour, de dons privés uniquement, notre trésorerie associative ne nous ayant pas permis de faire face.
L’argent-nerf-de-la-guerre ? On en connaît le cycle : nous payons des impôts, lesquels servent à financer aussi le budget de la Défense (le Président américain a eu l’outrecuidance, diront certains, la provocante fantaisie de renommer le Ministère de la Défense, Ministère de la Guerre – sans doute n’a-t-il pas lu 1984, où tous les sigles sont inversés ?). Donc, avec ces budgets de guerre, les gouvernants achètent de beaux canons, des kyrielles de missiles, qu’ils envoient sur les « théâtres d’opération » choisis. Ces armements sont parfois donnés, parfois vendus, à des conditions particulières. En somme, c’est le contribuable qui finance l’effort de guerre, que ce soit « contre les Russes » ou contre les Javanais. CQFGT. Ce Qu’il Faut Garder en Tête. Les grands bénéficiaires, toujours, ce sont les firmes productrices d’armes, que nous ne nommerons pas ici – mais vous trouvez une excellente analyse chiffrée du problème, grâce au SIPRI, l’Institut International de Recherche sur la Paix, de Stockholm. La liste des 100 sociétés exportatrices d’armes au monde.
https://www.sipri.org/sites/default/files/2024-11/fs_2412_top_100_2023_0.pdf
Est-il bien utile de signaler que, sur les 20 premières, 9 sont américaines, 6 chinoises, 1 seule russe ?
Et sur 100, 43 sont américaines, 9 chinoises, 5 françaises, 3 israéliennes, 2 russes…
Comme il est dommage que, à notre connaissance, pas un seul Prix Nobel d’Economie ne se soit penché sur cette intéressante floraison.
L’argent-nerf-de-la-paix ? Nous concernant, les chiffres donnent à penser. Nous tournons, annuellement, sur un budget de deux à trois mille euros au mieux, pour les frais de voyage prioritairement (de l’ordre de 500 € à un petit millier d’euros pour une dizaine de jours, selon le prix des billets d’avion, qui varie du simple au double, en fonction des événements – tir de missile du Yémen, paniques collectives, guerre avec l’Iran, etc.) En neuf mois, nous avons reçu un peu moins de mille euros de nos amis et sympathisants (dont un don généreux d’un ami Nobel américain, scientifique). Nous n’avons jamais rien demandé aux Nobel, autre que leur soutien à nos campagnes. Par respect pour leur libre arbitre. Par crainte aussi d’importuner, de solliciter.
Ils ne savent pas que nous sommes exclusivement bénévoles, que nos moyens matériels sont modestes. Nos frais de voyage pour 2025 : 1.400 euros pour deux missions. Nous sommes au-dessus de la ligne de flottaison grâce au reliquat de l’an passé.
Cette guerre de deux ans nous fatigue tous, nous draine. Guerre au nord, pour le seul profit des marchands d’armes, guerre au sud, du Soudan à l’Iran, en passant par Gaza, la Syrie, le Yémen. Toujours pour le profit de quelques uns, contre les peuples, les personnes. La première victime d’un état de guerre étant la transparence, la vérité, nous sommes sursaturés de fausses nouvelles, de rumeurs alarmistes, de mensonges éhontés, colportés par les mass media, les réseaux.
Notre travail, face à cet insidieux confinement généralisé, qui produit des êtres unidimensionnels à la chaîne, sur le modèle Travail-Famille-Série, c’est de nous délivrer peu à peu de beaucoup d’erreurs… se défaire de toutes les opinions reçues… tâcher à réformer nos propres pensées… Recréer du lien, de la confiance, du sens. Rester humains, solidaires, les yeux ouverts.
Que nos actes les plus simples soient en accord avec nos pensées. Et courage.

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