Lettre de Liaison n°132 – 15 août 2024

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Lettre de Liaison n°132 – 15 août 2024

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PEACE LINES

MESSAGERIES DE LA PAIX
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Sommaire

Question de temps

Il va y avoir la guerre ?

Tous dans le même paquebot

Question de méthode

Honorer Honoré

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Naama Levy, Liri Albag, Agam Berger, Daniella Gilboa, Karina Arlev, kidnappées en pyjamas à Nahal Oz, à l’aube du 7 Octobre 2023.Toutes en fin d’adolescence.

Détenues quelque part à Gaza depuis. Parmi deux millions d’autres ôtages.

Lettre de Liaison n°132

15 août 2024

Une question de temps, de durée

Notre dernière Lettre s’achevait sur une pensée de Camus, dans une de ses plus belles nouvelles : Les Amandiers (L’été), sur notre tâche, notre tâche d’êtres humains : trouver les quelques formules qui apaiseront l’angoisse infinie des âmes libres.

C’est bien de cela qu’il s’agit. « Nous avons à recoudre ce qui est déchiré, à rendre la justice imaginable dans un monde si évidemment injuste, le bonheur significatif pour des peuples empoisonnés par le malheur du siècle. » Rendre la justice imaginable, entre des communautés déchirées, le bonheur significatif : qu’il ait non seulement du sens à nouveau, mais qu’il soit possible d’y penser, envers et contre tous nos problèmes, nos urgences.

« Et si on pensait au bonheur, un peu. Au bonheur, malgré tout. » (Lettre 131)

« Naturellement, » nous prévient Camus, « c’est une tâche surhumaine. » Quitte à ajouter,

« Mais on appelle surhumaines les tâches que les hommes mettent longtemps à accomplir, voilà tout. »

Voici vingt-quatre ans que nous sommes, « messagers de paix », engagés en « Terre Sainte ». Par une trentaine de voyages, autant de missions, si l’on accepte ce mot. C’est bien long, disent certains. C’est sans fin, répètent d’autres.

A quoi nous leur répondons que le conflit d’autrefois entre les Anglais (alliés aux Portugais, aux gens du Hainaut, de Navarre, au Pape de Rome) et les Français (alliés aux Ecossais, aux rebelles gallois, aux royaumes de Castille et de Gênes, au Pape d’Avignon !), que l’on nomme Guerre de Cent Ans, a duré, en fait, 116 ans. Le Royaume Uni a eu beau opérer efficacement son Brexit, entre 2016 et 2020, les Anglais n’en restent pas moins nos paisibles voisins, et les ponts ne sont pas rompus avec eux. Leur musique résonne en nous depuis 60 ans (Them, Beatles, Stones and co).

Plus près de nous, le conflit entre Allemands et Français aura duré de 1870 à 1945, 75 ans, et entraîné le monde entier dans ses deux premières guerres totales. Avec un bilan de près de 20 millions de morts et disparus pour 14-18, entre 60 et 80 millions pour 39-45.

Chaque jour mouraient 900 jeunes Français, entre 1914 et 1918, en moyenne.

Peut-être cela nous rendra plus prudents dans nos évaluations de ce que durent les pires guerres. Celle qui déchire la terre commune aux Israéliens et aux Palestiniens en est à sa 76ème année. Est-ce seulement un problème local, qui concerne seul le volatile Orient ?

Ou bien, y a-t-il de par le monde une matrice des armements et des guerres, qui œuvre à toujours en créer davantage ?

Relire le chapître IX de 1984, publié en 1948, dans lequel Orwell nous avertissait de la montée à venir (à partir des années 80 du siècle passé) d’un état de guerre continue, permanente.

Bien plus près de nous, et très informé, lire Bienvenue en économie de guerre ! de David Baverez, paru en avril 2024. « L’émergence de la ‘planète du chaos’ et ses transferts de valeurs »…

10 août 2024 : Est-ce qu’il va y avoir la guerre ?

L’affrontement entre islamistes de Gaza et Israéliens va-t-il nous entraîner vers une grande guerre régionale entre belligérants : Iran – Israël – Liban – Yémen – Chiites d’Irak ? Sommes- nous à la veille d’un désastre sans précédent, dans les villes de Tel Aviv, Téhéran, Jérusalem, Beyrouth, Sanaa, qui implique la flotte de guerre américaine, et d’autres puissances ?

C’est peu probable.

Nous avons publié des éléments de compréhension dans notre Newsletter 130 en anglais, qui permettent d’analyser ce conflit de l’été 2024, non comme une guerre entre nations (Iran, Israël, Palestine), mais comme une « simple » compétition entre firmes dominantes d’armements – l’IAIO pour la République Islamique d’Iran (Iran Aviation Industries Organization) contre l’IAI pour Israël, notamment (Israel Aerospace Industries), Elbit, et l’IWI (Israel Weapon Industries).

Une compétition pour entrer, ou garder sa place, dans le club fermé des Top Ten vendeurs d’armes mondiaux. L’Iran figurant en seizième position, Israël en dixième ou neuvième.

Pour cette fois, comme durant le démantèlement militaire de l’Etat Islamique, en Irak et en Syrie, entre 2015 et 2019, au prix de dizaines de milliers de morts, Russes et Américains sont au diapason pour que l’Iran et ses alliés, au Liban, au Yemen, et à Gaza, ne mettent pas le feu au Moyen-Orient.

Où l’on constate qu’il y a bel et bien un accord complet de connivence entre tous les dirigeants du Complexe Militaro- Industriel (dénoncé aux Etats-Unis par Dwight Eisenhower dès la fin de son mandat en 1960), qui opère au sommet de tous les états industrialisés, de l’Est comme de l’Ouest. Américains en tête, Français, Russes, Chinois, Allemands, Italiens, Anglais… Ce Top Ten des pays exportateurs d’armes est un secret de polichinelle. On le trouve partout.

https://www.lejdd.fr/international/les-dix-pays-qui-exportent-le-plus-darmes-dans-le-monde-144895

George Orwell situait l’éclosion de ce monde chaotique dans les années 80 – la réalité a évolué plus vite, il serait plus juste de situer la plaque tournante à la fin des années 50, autour de 1960. Réécouter le discours d’adieu, poignant, sur l’Etat de l’Union, du président américain Dwight Eisenhower (1890-1969), le 17 janvier 1961. https://fr.wikipedia.org/wiki/Discours_de_fin_de_mandat_de_Dwight_D._Eisenhower

Tous dans le même paquebot.

Dans notre dernière Lettre (131, mai-juillet 2024), après le voyage à Belfast, sur le chantier des transatlantiques Titanic, Olympic, et Britannic, tous trois construits entre 1908 et 1911, l’analogie s’imposait d’elle-même : nous sommes tous embarqués dans la même galère planétaire. Il n’y a pas de planète de rechange. Le monde est bien plus petit qu’il y paraît. Il nous reste, toutes proportions gardées, le choix de la Ligne, et du paquebot.

Les trois navires de la White Star Line : trois vaisseaux équivalents, de 269 mètres, et 52.000 à

53.000 tonnes de déplacement. Le premier, l’Olympic (photo), survit de 1911 à 1935. Le second, le Titanic, coule à sa première traversée (par faute d’une paire de jumelles, qui aurait permis à l’homme de vigie, Frederick Fleet, de signaler à temps l’iceberg naufrageur). Le troisième, le Britannic, lancé en février 1914, est réquisitionné en navire-hôpital, heurte une mine posée par un sous-marin allemand, et coule en Mer Egée en novembre 1916, en un peu moins d’une heure.

Une « même galère planétaire » ? La vigie du nid-de-pie d’autrefois est aujourd’hui « lanceur d’alertes » depuis son cockpit, en navigation continue. La dérive des icebergs s’est aggravée.

Les icebergs de notre siècle prolifèrent :


    • le dérèglement climatique et ses conséquences multiples,

    • la servitude accrue aux machines, aux écrans, petits ou grands,

    • le sort lamentable de nos aînés abandonnés dans les « ehpad »,

    • l’augmentation des exodes migratoires,

    • l’effondrement de la biodiversité,

    • l’effondrement de toutes diversités,

    • l’effondrement démographique,

    • la conquête des esprits par les multiples media et réseaux que l’on nomme sociaux,

    • le conflit Orient (islamique) – Occident (matérialiste),

    • la course folle aux armements, de l’Ukraine et du Yémen à l’Iran et Israël…

Par quoi commencer ?

Pour ne prendre que le premier de ces fléaux, on a relevé 29°4 en température de l’eau à Villefranche- sur-Mer, Nice, le 12 août 2024. 30°8 au large de Porto- Vecchio, au sud de la Corse ; « du jamais vu », dit le directeur du Laboratoire d’océanographie de Villefranche.

Cela fait beaucoup à la fois, pour des esprits plus ou moins prévenus, plutôt moins que plus. Comment s’en sortir ?

Une question de méthode ?

Si l’analogie avec la White Star Line tient l’eau, nous naviguons tous entre ces écueils : un facteur qui relève de la chance, du destin… le manque de moyens adaptés (dû à des restrictions budgétaires obsédées par le profit myope, à court terme)… la transformation de notre cadre de vie par une économie de guerre, totalitaire.

Le Titanic a sombré en raison des deux premiers écueils. Le Britannic, en raison du troisième. Seul l’Olympic est passé à travers.

Depuis les années covid, et depuis que l’intelligence artificielle calcule en un milliardième de seconde ce que toute une vie humaine peine à concevoir, nous vivons tous cette sensation, où que nous soyons, quel que soit notre situation, d’être submergés par les problèmes, les risques, les menaces. Nous n’allons pas, pour autant, nous voiler la face.

« Trop d’infos tue l’info » ?

Réduire la voilure, et l’allure. Faire du vide.

Chercher des points d’appui, des angles d’accroche, des leviers. Débrayer. Ralentir. Prendre son temps. Bannir toute précipitaion. Mettre en perspectives, d’amont en aval.

Si nous sentons trop de poids sur nos épaules, poser le fardeau, le contempler, posément, pour le répartir autrement. Diviser l’ensemble de la charge, en autant de parties que possible. Afin de mieux évaluer leur importance respective, leur valeur.

Puis établir une manière de hiérarchie entre ces parties, selon des critères tantôt d’urgence, tantôt de fragilité, ou de pesanteur, de possibilité, de faisabilité, allant du plus facile, ou du plus attractif, au plus lourd, au plus difficile.

Alors, par quoi commencer, pour avancer ?

Déjà, par les problèmes sur lesquels, pour ce qui me concerne, je n’ai pas prise du tout – à mettre de côté. Ainsi, le dérèglement climatique (ne dépend pas de mes choix individuels, à ce stade) ; l’effondrement de la biodiversité (quand bien même je protège les cardères sauvages dans mon jardin, et les hérissons…). Je peux, par contre, me mettre en cohérence : installer des panneaux photovoltaïques, dénoncer l’éolien industriel, me chauffer au bois plutôt qu’à l’électrique, planter des arbres rares, restaurer des bâtiments anciens à l’identique, avec des toitures et façades traditionnelles… (proscrire absolument les tuiles béton, privilégier les tuiles

de pays et les produits des tuiliers historiques : Soulaines, Amance, Saints, Pontigny…), et ainsi contribuer au maintien des diversités – de pensées, de visions, et surtout d’action, à mon échelle. Cela « va de soi ». Comme un minimum incompressible de logique et d’harmonie, de crédibilité. Défendre la diversité en soi, autour de soi. La paix, après tout, commence par là, où nous sommes, et comment.

Cette base étant assurée, pour donner un socle solide, une « substructure » environnementale incontestable, n’étant pas en contradiction personnelle, je peux voir au-delà de mes limites géographiques, temporelles. Géographiques et démographiques : selon le secteur où nous résidons, nous sommes témoins directs, ou non, des changements profonds de société au quotidien, dûs aux arrivées massives de migrants d’Afrique et d’Orient, des régions sèches et sinistrées du globe.

Ce problème est lié à l’effondrement démographique des pays riches :

On comptait, en 2021, 1,60 enfant par femme en Suisse, en Russie ; autour de 1,47 en Allemagne, en Italie ; 1,40 en Pologne, en Grèce… alors que le « seuil de renouvellement » est à 2,10. En France, le taux de fécondité est passé de 1,83 en 2021 à 1,68 en 2023. Le cas le plus extrême : l’île de Taïwan, avec 1 enfant par couple. A l’inverse, on compte autour de 5,60 enfants au Mali, au Tchad ; 4,70 au Soudan, au Nigéria ; 4 au Sénégal, en Ethiopie ; 3,30 en Irak, en Egypte…

C’est-à-dire, en clair, bien au-delà du répétitif problème des retraites, les pays où la vie est la plus facile se suicident à court et moyen terme. L’espèce humaine y dépérit, s’y éteint, massivement. Est-ce que nous en avons conscience ? Quels sont, alors, nos choix de vie, nos envies ?

Concernant les flux migratoires et leur régulation, c’est une question d’ordre politique, qui nous renvoie au système électoral et à nos options sélectives. Concernant la vitalité liée à la natalité, cela relève bien de nos priorités intimes les plus profondes.

Venons-en à la dimension temporelle de nos existences : nous vieillissons tous, sans conteste possible, chaque semaine, chaque jour. Au bout du compte, quoi ? Que nous attend-il ? Ne pas se voiler la face. Sauf accident, un jour nous aurons bien 70, puis 80 ans, 90… Dans quel état serons-nous alors ? Et encore, où serons-nous ?

Des enquêtes, des témoignages ont été publiés sur ces questions : EHPAD : une honte française (2020) ; EHPAD, je tente de survivre : Ennui, Horreur, Précipice, Abandon, Destruction (2021) Autant il est bon, plaisant, de vivre l’Instant, se donner le « Carpe Diem » comme boussole, autant il serait inconséquent, aléatoire, de jouer les cigales de la fable, de ne pas voir devant soi, ce qui nous attend. Pourquoi rajouter de l’aléatoire aux aléas de la vie qui déjà nous assiègent ? Le sort lamentable de nos aînés dans les ehpad peut nous scandaliser par ce que l’on en sait, ce dont on se doute, mais ne nous fourrons pas la tête dans le sable : c’est ce qui est prévu pour nous, selon toutes probabilités statistiques.

Il est d’ailleurs symptomatique que toute une prise de conscience militante se fasse depuis des années pour le « Droit de Mourir dans la Dignité », alors que le sort des plus de soixante-cinq ans est de finir relégués dans ce que l’on appelait naguère, à juste tître, des mouroirs.

Qui donc se mobilisera pour le Droit de Vivre dans la Dignité ? Sur le modèle des pays avancés (nordiques) qui ont créé le concept de Snoezelen, voici un demi-siècle déjà (aux Pays-Bas).

Snoezelen : un aménagement d’espaces non-directifs, pour créer le bien-être sensoriel immédiat, et favoriser « une meilleure conscience de soi dans l’ici et le maintenant, via son corps et ses cinq sens » (Wiki). A la prochaine assemblée annuelle de nos Messageries, nous proposons d’inscrire le Droit de Vivre dans la Dignité à notre programme pour 2025 et les années à venir.

Honorer Honoré (25 novembre 1941 – 7 janvier 2015 Charlie)

Il nous reste à envisager les quatre derniers fardeaux qui nous pèsent le plus :

d’abord, la servitude accrue aux machines, aux écrans, et la conquête des esprits par les media.

Se souvenir du cynisme d’un ex directeur de TF1, en 2004 : « Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible ». Il dépend de nous de ne pas consentir ne serait-ce qu’une heure de notre « temps de cerveau disponible », de ne pas nous laisser voler notre temps.

C:\Users\Utilisateur\Documents\LDL-NEWSLETTERS\LdL 132\Honoré 001.jpg Quant à la conquête des esprits, elle est le fait de deux groupes d’intérêts dominants : le mercantilisme galopant des media à l’américaine, et l’islamisme militant, qui ne fait pas mystère de sa volonté d’enraciner ses valeurs et ses interdits, dans le monde entier. Conscients des deux fléaux symétriques, il nous appartient de nous en préserver, de ne rien céder.

Ce qui nous mène aux deux derniers défis qui sont, qu’on le veuille ou non, les nôtres :

le conflit Orient-Occident, ou « choc des civilisations » de Huntington, qui est une conséquence du fléau précédent, et cette course hallucinante aux armements, légalisée, banalisée, dans laquelle sont

lancés une quinzaine de pays industrialisés, des Etats-Unis et de la France en tête, à l’Iran.

Sous cette lumière, notre choix, depuis l’an 2000, reste de nous focaliser sur la charnière des continents et des civilisations, entre Afrique et Eurasie : ce minuscule lopin de terre (une petite vingtaine de milliers de kilomètres carrés), que se partagent (?) Palestiniens et Israéliens.

Fidèles à notre Manifeste, à nos statuts, nous ne prenons pas parti pour les uns, contre les autres. Notre expérience des guerres, depuis la Bosnie en 1993 et l’Algérie à la fin des années 90, nous interdit de faire la morale à qui que ce soit.

Pour le regard de cette Lettre d’août 2024, ce sera celui de Yafa, morte dans un bombardement à Khan Yunis (Gaza). Yafa avait cette angoisse prémonitoire:

« Ce qui me fait le plus peur c’est que ma mort devienne un chiffre, dans l’escalade écrasante de décompte des morts… Je ne suis pas qu’un chiffre. A 24 ans j’ai des amis, des souvenirs, et beaucoup de douleur. »

A Doha, au Qatar, Egyptiens, Américains, Qataris,

Israéliens, depuis ce 15 août, cherchent enfin le

cessez-le-feu

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